Cause freudienne (la), n° 52. la formation en psychanalyse

Extrait Éditorial Christine Le Boulengé La formation des analystes: deux orientations Freud sut d'emblée que la psychanalyse s'éteindrait s'il abandonnait à l'université le soin de son enseignement et de la formation des analystes. Il faut en effet être passé par une analyse, par l'expérience de l'inconscient sous transfert et ses effets de remaniements subjectifs, pour avoir quelque chance d'en transmettre les acquis, inséparables de son éthique. Cette rencontre avec le réel de l'expérience, au fondement du savoir psychanalytique, dote le sujet d'un rapport inédit à tous les autres savoirs, venant fracasser leur mise en somme — mise en sommeil, dira Lacan — en quoi consiste l'entreprise universitaire. Les résultats d'une analyse ne sauraient donc se mesurer par les voies académiques: une telle épreuve échappe aux formes traditionnelles et qui plus est, ne peut fonder d'agrégation permanente. La position qui s'en déduit, de ne pas céder devant l'inconscient, n'a rien de confortable et dépend d'une décision à renouveler constamment. Sans le plus vif de ce rapport inédit au savoir, ce qui est enseigné ne relève plus de la psychanalyse — celle-ci est d'ailleurs à réinventer à chaque fois, dira Lacan. Il était donc nécessaire de créer, au sein des associations psychanalytiques elles-mêmes, des procédures propres à assurer la formation des analystes et à garantir leur qualification, pensées par Freud à partir du trépied de l'analyse, du contrôle de la pratique, et de l'enseignement. Toutes les associations psychanalytiques n'ont pas relevé ce défi: plusieurs se bornent aujourd'hui à coopter leurs membres, laissant à l'Autre social la charge de la garantie. Celles qui n'ont pas baissé les bras se partagent en deux grandes orientations: l'IPA et l'AMP. L'IPA, se basant sur le constat de Freud qu'il ne pouvait établir de terme assuré à la cure psychanalytique , a renoncé à en vérifier les résultats, se contentant d'en réguler les formes: autant de séances, autant d'années, chez un analyste patenté. Elle a misé sur les deux autres pôles, le contrôle et l'enseignement, en instaurant des épreuves de type universitaire comme la présentation devant un jury d'un mémoire clinique, sanctionnant la fin d'un cursus de formation comprenant contrôles et séminaires. Analyse sans fin et formation avec fin, attestée selon une procédure relevant du Nom-du-Père, c'est l'orientation de l'IPA. L'AMP part de la proposition lacanienne de l’analyse avec fin et de sa procédure de la passe, destinée à vérifier la fin de l'analyse et à authentifier le passage à l'analyste .. La formation de l'analyste s'en déduit comme infinie. Car une fois atteint le point de finitude de l'analyse, la notion de formation se trouve subvertie: il ne s'agit plus de mesurer et d'authentifier à l'avance une compétence, mais de rendre compte après coup d'une performance, jamais assurée — celle d'avoir été à la hauteur du réel de l'expérience. D'où l'aporie de la formation dégagée par Lacan: la passe permet, en authentifiant le résultat d'une analyse, de parier sur le psychanalyste à venir. Quant au psychanalyste en fonction, aucune procédure ne saurait le garantir à l'avance, car ce n'est que dans l'après-coup qu'il peut s'avérer avoir été à la hauteur de son acte. Il s'en déduit un usage renouvelé du contrôle de la pratique et de l'enseignement, non tant à des fins de garantie qu'à des fins d'élaboration constante et de vérification après-coup. Cette orientation dénude l'impasse structurelle de la garantie, qui consonne, somme toute, avec l'époque — non plus celle du Nom-du-Père et des compétences, mais celle de l'Autre-qui-n'existe-pas et des performances — et qui s'avère, de ce fait, performante à traiter le malaise contemporain. L’acte de Lacan en 1967, d'installer la procédure de la passe dans son École, constitue un véritable tour de force dans l'histoire de la psychanalyse, dont nous pouvons mesurer les effets. Lacan a posé qu'il y a dans l'expérience d'une analyse un point de capiton, celui de la traversée du fantasme, qu'il s'agit de démontrer au un par un selon une procédure réglée. S'il a par la suite investigué l'au-delà de ce point de capiton, il n'en reste pas moins qu’il a installé dès 1967 l'examen de l'expérience analytique, de ses résultats et de sa conclusion, au cœur de la communauté analytique, mettant celle-ci à la tâche de dire chaque fois, au cas par cas, ce qu'est la psychanalyse. Avec pour effet une élaboration constante, un savoir en mouvement, vivant, de ce que chacun soit obligé d'y mettre du sien, et qui s'avère propre à agir sur le malaise contemporain, puisqu'il se coule dans les formes du savoir scientifique qui priment sur le marché, sans faire l'impasse sur la singularité du sujet, sur son énonciation. Cette élaboration constante est aussi le meilleur gage de survie de la psychanalyse: sans cette assise de l'investigation des résultats de l'expérience analytique, le savoir psychanalytique tend à se diluer au point qu’on ne parvient plus à faire le partage entre ce qui est psychanalytique et ce qui ne l'est pas. Le présent volume en examine les conséquences. Il s'appuie sur les travaux du Congrès de l'AMP réuni à Bruxelles en juillet 2002, sur le thème de L'effet-de-formation en psychanalyse. On y lira que l'infinitude de la formation et l'absence de procédures de garantie réglées sur le Nom-du-Père, qui particularisent l'orientation lacanienne de la psychanalyse, loin de faire désert de la formation, maintiennent constamment les analystes sur la brèche de ce qu'il leur reste encore à apprendre.