Autoportrait à découvert

Cinquante balles de courses à l'ED de la rue Pierre Nicole, ça représentait une semaine de bouffe ; pâtes, saucisses et yaourts nature à tous les repas, de quoi se refaire une petite santé. Voilà ce que c'est que le bonheur, je le dis à ceux qui le chercheraient encore. Le vent tournait enfin en faveur d'Arthur Blaise. J'imaginais trop bien mon vernissage. Tous les galeristes du quartier et d'ailleurs, les collectionneurs et tous les amateurs de peinture, intrigués par ma survenue dans le monde de l'art, viendraient me poser un tas de questions sur l'ensemble de mon oeuvre. Puis, je serais reçu avec les félicitations du jury. Je pourrais alors raconter n'importe quoi, tout ce qui me passerait par la tête, le Précis du système hiéroglyphique, c'est le livre de chevet des critiques d'art. Même Graetawulf y serait, à mon vernissage. Même qu'il en ferait, une sacrée drôle de gueule.

Seul point noir dans cette histoire : maintenant, j'avais peur du cadavre postal qui n'avait toujours pas disparu de sous mon lit.

Arthur Blaise, 22 ans, possède trois choses : l'ambition d'être reconnu comme artiste peintre par le monde de l'art parisien, un frigo inutile, et le cadavre encombrant d'un facteur philosophe aux bronches fragiles. Comme il mène une vie d'expédients, que la malchance le poursuit comme son ombre et que le facteur se met soudain à jouer au phénix, il perd peu à peu pied avec la réalité. Il glisse vers cette folie qui guette l'imaginatif débride, irrésistiblement attiré par cette Mort qu'incarne une étrange psychanalyste férue de noir et de cigares rencontrée dans le coin le plus à l'ombre d'une brasserie...

Pur produit de l'euphorie sexuelle d'avant la pilule, l'auteur, qui n'aurait pas dû naître, à Paris, deux mois avant les fumeux événements de mai 68, a toujours revendiqué, le verbe haut, son statut de baby-looser. Sans réelle ambition et armé d'un bac de philo, il aura exercé toute sorte de métiers dans le désordre employé de banque, chauffeur de car, cuisinier animateur radio et journaliste... Son roman, Autoportrait a découvert, autofiction librement située à la fin des années 80, témoigne des vicissitudes jubilatoires d'un jeune peintre en quête d'un repas complet.